Bloody and the beasts

Ici, la nature est belle et sauvage. Ici, la vie est rude, surtout quand on est simple berger. Ici, on est taiseux, on a le regard buté et on ne montre pas ses sentiments. Ici, le poids des traditions (certains parlent encore gaëlique) et des figures patriarcales s’impose à rebours des évolutions sociétales. Ici, c’est l’ouest de l’Irlande, une Irlande filmée comme un monde à part, indéterminé dans le temps. Un monde d’hommes et de bêtes sans pitié, sans douceur, sans amour. Ici va se jouer un conflit nourri d’une dimension presque religieuse trouvant son origine dans une histoire que Christopher Andrews, enfant, a apprise à l’église : «Et si le bon berger, après avoir abandonné les 99 brebis pour aller chercher celle qui s’est perdue, revenait et constatait que son troupeau avait été blessé ou massacré ?».

Il y a du Peckinpah et du Haneke dans cette exploration de la violence en milieu rural, ouvert aux quatre vents et pourtant complètement refermé sur lui-même. Une violence d’abord insidieuse, qui part de pas grand-chose (le refus d’ouvrir un portail, un vol de béliers…), mais ancrée dans un quotidien déjà chargé de rancœurs, de rivalités et de frustrations, pour ensuite s’emballer et entraîner une surenchère meurtrière. Le film se scinde en trois parties, la première et la deuxième rejouant le même récit mais d’un point de vue différent (celui de Michael d’abord, puis celui de Jake, deux jeunes éleveurs entravés par l’inéluctabilité de leur condition, sociale comme familiale), la troisième enfin venant, brutalement, conclure celui-ci. Un maniement du temps permettant d’apporter nuances et vérités autour des événements (és et présents) qui ne sauraient distinguer bourreaux et innocents parce qu’ici, personne ne s’absout, et tout le monde trinque. Fait comme il peut pour s’en sortir.

Andrews filme âpre, Andrews filme sec, convoquant à la fois souvenirs intimes («Les tensions familiales du film font écho à mon propre vécu […] L’histoire retrace mon parcours au cours duquel j’ai pu m’affranchir de mon père et de ma famille», a-t-il ainsi expliqué), faits divers (attaques et mutilations de troupeaux de bêtes), ambiance nouveau western et naturalisme dépouillé (qu’accompagne la belle musique minimaliste d’Hannah Peel). Étrangement, plus le final approche, en mode survival pas totalement convaincant, et plus la tension décroît. Et plus le scénario perd en essentialité dans le portrait de cette communauté à l’écart dont l’existence ne serait que violences et paupérisme. Et plus les personnages semblent perdre un peu de leur aura, presque d’une part de mystère. Pas grave. Pour son premier long métrage, Andrews fait, malgré tout, preuve d’un évident savoir-faire et d’une écriture rêche, débarrassée de toute psychologie trop explicative pour viser une sorte de sombre primarité.

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le 16 avr. 2025

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mymp

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