L'école se fane

Une voiture qui roule à toute allure sur une petite route de forêt, les murs d’un bâtiment austère qui pourrait ressembler à une prison, mais qui s’avèrera être une école, une démarche rapide dans des couloirs, une gêne qui semble s’installer… D’emblée, quelque chose de singulier flotte dans l’air. Pourtant, rien de plus terriblement «concret» quand Elisabeth apprend le pourquoi de sa convocation à l’école d’Armand, son fils de six ans. Celui-ci aurait agressé physiquement (et même sexuellement) l’un de ses camarades, Jon. Les parents de ce dernier ont, eux aussi, été convoqués. Il va donc s’agir de comprendre ce qui s’est réellement é, de confronter les récits, de nommer les choses et de les expliciter. Sauf que…

Ce point de départ va peu à peu être délaissé au profit d’une étude psychologique, et presque d’un thriller psychologique, sur les peurs, les doutes et les rancœurs des adultes. Sur leur mal-être profond. Il n’est alors plus question des enfants. De qui a fait quoi, de qui a dit quoi, de qui a tort ou raison. Et encore moins d’aborder de front le sujet du harcèlement scolaire, du rôle des parents et des instituions face à celui-ci, qui restera bien sagement aux portes de l’école. Halfdan Ullmann Tøndel détourne ainsi le conflit initial, multiplie les points de vue et les interactions entre les différents protagonistes, brouille les pistes (jusqu’à, parfois, devenir confus) et, in fine, révèlera quelques vérités peu glorieuses (mais jamais celle attendue, celle concernant directement Armand et Jon).

Contre-pied intéressant bien sûr, glissements progressifs de nos attentes trop déterminées, mais dans le fond comme dans la forme, Ullmann Tøndel na va pas en faire grand-chose, en tout cas rien de totalement réussi. Le fond d’abord. Ullmann Tøndel croit bon, pour sonder les comportements, les rapports entretenus avec les limites et les troubles de notre société, d’accumuler dans son récit les révélations et les non-dits, finissant par devenir une sorte de fourre-tout narratif où s’entremêlent, à la pelle, bisbilles familiales, violences conjugales, frustrations et suicide, éventuellement adultère (n’en jetez plus). Et pour lequel, de fait, on se ionne, on adhère de moins en moins.

La forme ensuite. Plus le film avance, et plus il s’engage dans une voie à moitié abstraite à laquelle on pourrait tout à fait souscrire si Ullmann Tøndel, là aussi, ne chargeait pas son film de scènes figuratives alambiquées (en particulier les deux scènes de danse, dont on hésite toujours à savoir si elles sont pertinentes ou assez risibles…) censées exprimer les ressentis, explorer l’inconscient de chaque personnage et la construction de sa propre réalité. En particulier celui d’Elisabeth, qui est actrice (la symbolique est un rien grossière), ce qui la désigne, la réduit souvent à n’être qu’une manipulatrice, mais provoquant aussi, chez certains et certaines, une sorte de fascination.

À tout cela, Ullmann Tøndel ajoute des micro-événements venant sans cesse perturber le bon déroulement de la rencontre et sa possible résolution (une alarme se déclenchant inopinément, des saignements de nez, un long et impressionnant fou rire provoquant le malaise…), terminant de diluer son propos dans un trop-plein d’intentions, et jusqu’à cette scène finale sous la pluie, maladroite et démonstrative. Certes, on ne pourra pas reprocher à Ullmann Tøndel d’avoir voulu tenter des choses, bousculer les lignes (et puis sa direction d’acteurs est au top, et Renate Reinsve fascine de bout en bout), mais ce serait bien, pour la prochaine fois, qu’il le fasse de façon moins artificielle et moins lourdingue.

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le 14 mars 2025

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mymp

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