La Cité de la peur est sorti il y a 25 ans. C’est un film générationnel, Kyan Khojandi l’a dit mieux que moi, et je me rends compte aujourd’hui qu’après l’avoir vu deux fois en salle, je ne l’avais jamais revu. Les enfants m’ont plusieurs fois demandé de le voir, sans que ça déclenche en moi un enthousiasme forcené, persuadé que j’étais qu’il avait toute sa place dans le fameuse liste « Conversation avec mon moi jeune », et notamment la sous-catégorie « Ne revois jamais ce film pour garder intact ce que ta fraîcheur de jeune spectateur a pu lui trouver comme qualités ».
En réalité, c’est un film qui s’est diffusé toute mon adolescence, exactement comme l’explique l’auteur de Bref : les répliques culte ont accompagné nos échanges (j’adorais dire à ma sœur, à table, qu’elle avait un peu de pomme de terre sur la joue, par exemple, ou l’épellation de ODIL à ceux qui ne comprennent pas les évidences) et, sans qu’on ait besoin de le revoir, il s’est confortablement installé dans notre culture commune.
Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Peu importe, en réalité. Noter ce film pour un nouveau visionnage n’a pas grand intérêt, puisque c’est surtout un voyage dans le temps. Evidemment, c’est une suite de sketches. Evidemment, le liant a du mal à er et certaines transitions tombent à plat. Evidemment, le goût douteux des Nuls ne peut pas faire d’étincelles à chaque vanne (mais reconnaissons-leur le mérite d’avoir voulu en placer une à la seconde), mais tout de même…
Les mimes, le chewing-gum, les doigts de whisky, la tapette géante, les gencives de porcs alimentent une modeste mythologie qui, légitime ou non, structure une certaine époque. Ça ne se questionne pas vraiment, et ça se juge encore moins ; ça révèle, surtout, le lien puissant d’une œuvre avec le temps. Alors que la culture questionne souvent le lien de l’homme face à la fuite du temps (Marcel et sa Recherche, au hasard), qu’il s’agisse du créateur ou de l’individu universelle, la pop culture a ce formidable pouvoir de le cristalliser. Alors qu’il s’agit de la déclinaison la plus éphémère de l’art, conditionnée à un divertissement de circonstance, la pop culture capte, digère et sublime l’air du temps. Quand elle le fait avec talent, elle s’inscrit en lui et en devient l’étendard, alors que, rapidement, les temps changent.
Nos madeleines sont pop : c’est un titre qui ait sur toutes les ondes et dont le clip inondait les chaines, ou un film qui, comme le disent les producteurs, a « rencontré son public ». Parce que nous greffons à l’engouement collectif les petits fragments de nos individualités. Revoir La Cité de la peur, c’est se brancher sur l’humour qu’on avait à 15 ans, et la façon, surtout, dont on l’a partagé par la suite.
Les enfants ont bien ri, mais comme devant une comédie parmi d’autres. Ils auront leur référence, sans doute. Celles de l’enfance sont déjà là (Totoro, Azur et Asmar, notamment). Je ne sais pas trop si YouTube et son offre infinie permet encore aujourd’hui le qualificatif d’œuvres générationnelles. Il semblerait plutôt qu’on soit dans une accumulation de niches, mais je me trompe peut-être, sans doute même. C’est à eux de construire leur cristallisation. Moi, j’ai déjà l’émotion de me souvenir des miennes.