L'Horloger de Saint-Paul par Zogarok

Bertrand Tavernier était impliqué depuis dix ans dans le monde du cinéma. Dans ses critiques (il collabore avec toutes les principales revues, de Positif aux Lettres françaises), il soutient des œuvres américaines sous-estimées à ses yeux, notamment pour leur portée politique ; contrairement à beaucoup de ses contemporains (mais comme Truffaut), il ne voit pas dans Hollywood qu'une machine à entertainment. Il se focalise sur ses productions en mesure d'éveiller une conscience politique (notamment sur le génocide des Indiens d'Amérique) et se ionne pour ses westerns. Tavernier est aussi directement actif en tant que professionnel, comme assistant-réalisateur, attaché presse et ponctuellement, acteur (Tout peut arriver de Labro). Il e à la mise en scène dès 1964 en contribuant au film à sketches Les baisers.


Puis en 1974, il réalise son premier long-métrage avec L'Horloger de Saint Paul, adaptation d'un roman de Simenon (L'Horloger d'Everton). Tavernier déplace le lieu de l'action du Connecticut à Lyon, la ville où il a grandit. Il met beaucoup 'de lui' dans ce film et certaines répliques se confondent avec ses paroles ordinaires. Sorti sous l'ère Pompidou, peu avant sa fin prématurée (mort du Président le moins marquant de la Ve République dans l'imaginaire collectif – mais dont les mesures ne sont pas si innocentes), L'Horloger de Saint Paul dénonce ardemment les mœurs de cette pompidolienne. L'éclat ou la lourdeur magnifique de la gaulliste ne sont plus là, mais leurs résidus ont vilaine mine. Ce qui horripile le plus ce trentenaire derrière la caméra, c'est l'abrutissement d'un pays, la médiocrité et la mesquinerie de ses normes, le cynisme mou et apathique d'un peuple.


L'Horloger de Saint Paul annonce bien la carrière d'un cinéaste au style libéré et réaliste, politiquement penché à gauche ; il annonce aussi qu'on ne saurait limiter Tavernier à une telle mise en boîte, pour ses qualités bien sûr mais surtout en raison d'une tournure inimitable. L'approche des personnages fait souvent l'intérêt essentiel des films de Tavernier, leur originalité profonde et indicible, allant jusqu'à donner de l'allant et parfois du crédit à des postures outrancières (Coup de torchon), lui-même ivement englué par cette morose et bien-pensante, décidant de soutenir son fils criminel malgré l'absence d'espoir sur son cas. Dans la scène d'ouverture, il surjoue discrètement le 'beauf' avec les autres ; en société, il tient son rôle avec un flegme efficace jusque-là.


Maintenant il ret en esprit et en action son ami syndicaliste, celui qui verbalisera le compte-rendu général : on étouffe dans cette hypocrite, riche mais fatiguée, sans élans et condescendante ! D'ailleurs c'est le trouble à l'ordre public plus que le meurtre (d'un milicien d'extrême-droite – autre barrière à la léthargie et au conformisme, donc en somme un bon débarras pour le peuple pompidolien) qui fait de ce jeune voyou un ennemi public, vaguement diabolisé (dans la mesure du raisonnable). L'Horloger de Saint Paul est un procès de la société de l'indifférence, pas seulement de la société de consommation. Les idéaux gauchistes (type maoïsme) ou post-soixante-huitards circulent, mais seuls les cris d'injustice sont adoubés clairement, le discours étant dans la filiation de la gauche sociale hexagonale classique, celle où on cite Victor Hugo et dédie son œuvre à Jacques Prévert.


https://zogarok.wordpress.com/2015/09/09/lhorloger-de-saint-paul/

6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs premiers films des réalisateurs

Créée

le 9 sept. 2015

Critique lue 1.1K fois

3 j'aime

Zogarok

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

3

D'autres avis sur L'Horloger de Saint-Paul

Mystère et traboule de gomme

Ce n'est qu'au deuxième visionnage que j'ai vraiment "compris" et aimé "L'horloger de Saint-Paul", et malgré l'estime que je lui porte, ce n'est pas un film que je recommanderais, en particulier aux...

le 2 déc. 2020

46 j'aime

5

La cendre du fils

Tavernier arrive tard au cinéma : il a derrière lui une carrière prolifique de critique, d’attaché de presse et d’assistant réalisateur avant de réaliser son premier film. Cette maturité explique...

le 12 avr. 2021

38 j'aime

1

Bertrand, fais ca tes acteurs plus fort !

L'horloger de Saint-Paul, premier film de Tavernier, possède déjà ce que j'aime le plus chez lui, à savoir les petites choses de la vie de tous les jours qui viennent immédiatement donner de la...

Par

le 8 avr. 2021

24 j'aime

1

Du même critique

Kirikou et la Sorcière
10

Le pacificateur

C’est la métamorphose d’un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l’histoire pourquoi il s’obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l’usage...

Par

le 11 févr. 2015

49 j'aime

4

Mysticisme folklo

L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993,...

Par

le 8 déc. 2014

31 j'aime

2