Chez Rohmer, on explorait les rives du lac d'Annecy en suivant un homme d'âge mûr qui s'enlisait dans une sorte de marivaudage intellectuel, mordant la ligne jaune du platonique, et se cassait le bec sur des filles beaucoup plus jeunes mais aussi bien plus perspicaces que lui.
Chez Miller, le cadre est celui du lac Léman, filmé à hauteur d'adolescente qui n'aurait pas pied dans ces eaux, ni même celles de la piscine, et qui ne semble pas pressée de plonger dans le grand bain des adultes qui s'y ébattent et pour lesquels Charlotte ne semble éprouver qu'une forme de mépris boudeur ou d'indifférence. Et cette désaffection pour son entourage englobe tout autant sa famille que d'anciens camarades, eux qui ne paraissent pas souffrir comme elle du spleen et de l'ennui qui l'envahissent et font tache dans le paysage estival. En fait, tout est devenu nul à ses yeux, tout l'énerve, tout lui fout le cafard. Tout ? L'arrivée de Clara, pianiste prodige de son age en tournée, va tout chambouler, exercer sur elle une fascination obsessionnelle, Charlotte va s’enticher d'une figure de tout ce qu'elle n'est (et n'a) pas : blonde, souriante (et à qui tout sourit en retour), attitude assurée et talent reconnu qui lui vaut iration et voyages aux 4 coins du monde dans des demeures somptueuses assorties de gardes-robes de rêve... Bref, qui donne l'impression de s'être déjà réalisée pleinement sans er par la case âge ingrat. Face à elle, Charlotte ravale son amertume et sa hargne, elle n'est plus que jambes en coton et genou écorché (mini-Carrie au Bal du village ?), bascule dans un état de reconnaissance fébrile et absolue qui confinerait presque à la stupeur et aux tremblements chers à Nothomb, n'en revient pas qu'un être aussi exceptionnel puisse lui accorder un semblant de considération, même si ce sont des miettes et que Clara, un brin désinvolte,
lui fera en définitive miroiter la lune (à défaut de la lui promettre réellement) avec la perspective d'un destin commun, ultime désillusion qui (si on y ajoute le flip' de la chambre d’hôtel et l'hospitalisation de Lulu) fera tout voler en éclat et s'envoler la poudre aux yeux qui l’empêchait d'y voir clair, qui permettra enfin à Charlotte d'avancer sur ses deux jambes en se résolvant à accepter ce qu'elle a la chance d'être et avoir.
Notre regard de spectateur n'est heureusement pas celui d'une adolescente et sait embrasser tout du long la majorité des personnages (magnifiquement servis par un casting capable de leur donner vie, les rendre attachants avec leurs forces et leurs failles), comme la caméra sensible de Miller nous y invite. Et s'il arrive qu'il soit souvent embué par la performance remarquable de CG (elle ne fera jamais mieux par la suite à mes yeux), il n'en reste pas moins que le scénario offre également parfois une ironie mordante (à commencer par le nom du groupe qui chante le tube de l'été réjouissant et entrainant qui surgit à plusieurs reprises durant le film entre deux morceaux de musique classique : Ricchi e Poveri, tout un symbole) et des dialogues savoureux qui dérident le propos.