L'amour louf
L'Amour Ouf restera avant tout un bon souvenir de projection en salle puisque j'étais accompagnée de ma maman qui était adolescente lors des années 1980 et qui avait envie de replonger dans sa...
Par
le 19 oct. 2024
130 j'aime
25
Voir le film
Il est 17h un jour de semaine, et la salle est considérablement remplie dans ce cinéma excentré d’une ville de taille moyenne. Certes, il pleut ce jour là, mais la raison de cet enthousiasme soudain et palpable autour de ce film se situe ailleurs.
Depuis maintenant plusieurs années, il n'est pas rare d'entendre dire que le jeune public déserte les salles de cinéma, que les 15-25 ans peinent à s'intéresser aux propositions audiovisuelles au-delà des frontières des plateformes de streaming. Un constat sans doute à nuancer, car force est de constater que lorsqu’il l’a décidé, le public est au rendez-vous, et c’est le jackpot pour ''L’Amour Ouf".
Un marketing diablement efficace, pour sûr, et des thématiques qui attirent.
Tout d'abord, l'amour, un sujet abstrait, intemporel, multiple, inépuisable, qui ne cessera probablement jamais de faire couler de l'encre. Et lorsque l’amour côtoie un autre thème universel, à savoir la violence, alors là, c’est audacieux. Quand le réel pénètre les parois du romantisme dans ce qu’il a de plus cruel, cela a tout autant le potentiel d'aboutir à quelque chose de particulièrement fort qu’à un résultat plus…discutable. Affligeant, même. Qui fait lever les yeux au ciel, ou plutôt au plafond de la salle obscure tant la réalité physique du geste dée littéralement l’expression.
Voilà donc de quoi parle "L’Amour Ouf", d’amour et de violence. Le souci, c’est que premièrement, ni l’un ni l’autre de ces deux thèmes ne sont individuellement traités de manière pertinente, sans réellement de fond ; et deuxièmement, la réunion des deux n’aboutit concrètement à rien en termes de propos, mis à part une conclusion en réalité assez problématique.
Les deux personnages, adolescents au début, tombent amoureux au premier regard. Pourquoi pas, ces choses là n’ont pas toujours besoin d’être rationalisées (même si nombreux sont ceux qui auraient très probablement aussitôt crié à la caricature à l’eau de rose si l’on était dans un roman de Colleen Hoover ou dans une émission de télé-réalité et pas dans un film de Gilles Lellouche – mais ons). Clotaire est présenté comme un garçon violent dès le départ, ce qui est d’ailleurs montré avec beaucoup de frontalité ; tandis que Jackie, quant à elle…ne sera jamais vraiment caractérisée, si ce n’est sous l’unique prisme de son histoire d’amour avec ce jeune homme.
Et il en sera ainsi pendant toute la durée du film. Lorsqu’un événement tragique se produit, Clotaire et Jackie sont séparés. Il est incarcéré, et elle va alors er les dix prochaines années de sa vie à se languir de celui qu’elle aime.
Jackie plaque tout, et consacre même littéralement, bien qu’indirectement, sa vie à son amour pour Clotaire, une attitude dangereusement absolutiste et attentiste que le film dépeint pourtant sans aucunement en faire la critique ou soulever le caractère immensément dommageable d’une telle conception des choses et de ’’l’amour’’. Au contraire, le film valide même sans détour cette idée, en particulier dans une scène qui se voudrait bien plus intense qu’elle ne l’est réellement, au cours de laquelle Jackie explique à son père – interprété par Alain Chabat – qu’elle n’y peut rien, qu’elle a essayé, mais que rien n’y fait, son grand amour c’est Clotaire et puis voilà. Et qu’a-t-il à répondre à cela ? Va-t-il tenter de la raisonner ? Lui dire qu’elle mérite mieux qu’une relation qui la mettrait littéralement en danger, étant donné les activités gravissimes perpétrées par son amoureux ? À l’inverse, il va tout simplement lui répondre ‘‘mais oui, tu as raison ma fille’’, en renchérissant qu’après tout, oui, c’est le grand amour.
Autrement dit, le schéma de la co-dépendance affective est complètement normalisé à l’écran, sans être contextualisé de sorte à ce que le spectateur comprenne pourquoi Jackie en est là, et pourquoi c’est un problème. Parce que oui, c’est un problème d’écrire un personnage féminin de la sorte à notre époque.
Arrivée à l’âge adulte, elle est caractérisée comme une victime. Non pas comme une victime collatérale des actions violentes de Clotaire – ce qui aurait pu être ionnant et même nécessaire –, mais plutôt comme une victime de sa propre vie en quelque sorte ; comme une ado qui n’a jamais grandi, qui ne s’est jamais remise de son amour de jeunesse, et ce, pour une raison qui restera catégoriquement obscure jusqu’à la fin du film. Si le cinéaste avait pris un tant soit peu la peine de développer la relation entre ses deux protagonistes, peut-être alors le sujet de la violence aurait-il pu être utilisé à d’autres fins; peut-être cela aurait-il invité le public à mieux comprendre la difficulté de se détacher d’une personne que l’on aime, même si l’on a conscience de la souf que cela implique que de continuer d’alimenter ces sentiments.
A titre de comparaison, dans un film comme "Le secret de Brokeback Mountain" de Ang Lee, la distance qui sépare inéluctablement les deux protagonistes est un élément narratif essentiel et permet au spectateur de pleinement se projeter dans le sentiment déchirant qu’implique la rupture. On n’a alors pas réellement besoin que l'on nous explique explicitement pourquoi les personnages n’ont jamais pu s’oublier l’un l’autre, parce qu’on le ressent tout simplement. Le contexte de l’histoire, l’hostilité qui les entoure et les difficultés auxquelles ils doivent faire face sont suffisamment bien retranscrits et impactants pour que l’on entre en empathie avec eux, et que le message e.
Devant "L’Amour Ouf" en revanche, on ne ‘comprend’ pas grand chose, en fait, on ne ressent pas grand chose non plus, parce que ces personnages semblent ne servir aucune autre fonction que celle de nous crier au visage ‘‘l’amour triomphe de tout, puisque c’est l’amour ouf, et un point c’est tout’’. Sauf que cela revient à négliger un aspect majeur du scénario : Jackie est amoureuse d’un homme, oui, mais un d'homme violent. Et comment cela est-il mis en perspective dans le récit ? Dans une scène, la protagoniste, alors encore adolescente, affirme avec une certaine ferveur et sans nonchalance : ‘‘moi, je déteste la violence’’. Mais à quel moment du film cela est-il développé ? À quel moment Jackie prend-t-elle position pour elle-même et fait-elle primer sa conviction profonde individuelle sur son amour pour Clotaire ?
Aucun, et c’est bien ça le problème. La violence est montrée, mais elle n’est pas questionnée, pas fermement condamnée, et encore moins dépeinte comme quelque chose dont une jeune fille de 15 ans devrait vouloir s'éloigner. Bien au contraire, lorsque Jackie et Clotaire s’échangent un regard langoureux comme une déclaration d’amour silencieuse, c’est au beau milieu d’une bagarre à laquelle Clotaire est littéralement entrain de prendre part, sous les yeux ébahis de sa dulcinée qui a l’air bien plus subjuguée que choquée par ce à quoi elle assiste à cet instant.
A part alimenter une fois de plus le fameux fantasme du bad boy et au age celui du syndrome de la sauveuse, que fait "L’Amour Ouf", au juste ? Que cherche-t-il à nous dire ?
Au delà des qualités cinématographiques du film, car il y en a (un montage efficace et rythmé, une excellente bande originale, quelques jolis plans), il est désolant et même inquiétant qu’une telle histoire d’amour ait pour vocation de faire rêver les plus jeunes. Parce que oui, à en lire ou écouter les opinions d’une partie majoritairement jeune du public, ‘‘L’amour Ouf’’ ‘‘donne envie d’être amoureux’’, car des histoires d’amour comme celle-là, ‘‘on rêve tous d’en vivre une’’ (cf. Le Parisien, 2 nov. 2024).
C’est bien là que réside le problème principal de "L’Amour Ouf". Certains diront que Gilles Lellouche ne fait ici que présenter ce qui est sa conception de l’amour. En tant qu’individu, peut-être, et il en a parfaitement le droit. Seulement, il serait totalement naïf voire malhonnête de considérer qu’un cinéaste n’a pas une certaine forme de responsabilité quant aux représentations tant relationnelles qu’individuelles dont il fait la promotion dans son œuvre, aussi fictive soit-elle. En particulier lorsque celui-ci cherche activement et de manière ciblée à attirer des jeunes en salles (par le biais de projections spécialement dédiées aux influenceurs, par exemple).
Un film est un marqueur de son époque, et ce n’est pas pour rien qu’aujourd’hui des réflexions analytiques de plus en plus nombreuses émergent sur des œuvres ées, aux fins de littéralement déconstruire certains schémas de pensée préétablis qu’il convient aujourd’hui de remettre en cause. Tel est notamment le cas de la journaliste Chloé Thibaud, qui au travers de son excellent et important ouvrage « Désirer la violence » met en lumière combien les représentations pop-culturelles de la violence, notamment au sein des relations amoureuses, peuvent être nocives et influencent nécessairement nos envies, comportements, et notre construction globale en tant qu’individu.
En 2024, un film qui défend de manière assez floue et bancale la thèse selon laquelle l’amour sure tout, y compris la violence ; et que au fond, tant qu’il y a de l’amour, tout le reste peut disparaître comme par magie, cela revient à une énorme négation de la réalité, ce qui est paradoxal pour un récit qui semble pourtant vouloir s’inscrire dans une certaine forme de réalisme social.
Créée
le 2 nov. 2024
Critique lue 620 fois
3 j'aime
L'Amour Ouf restera avant tout un bon souvenir de projection en salle puisque j'étais accompagnée de ma maman qui était adolescente lors des années 1980 et qui avait envie de replonger dans sa...
Par
le 19 oct. 2024
130 j'aime
25
[Petite précision : je n'ai pas lu le roman adapté ; ce qui fait que je ne l'évoquerai pas du tout dans le contenu de ma critique.]Après Le Grand Bain, Gilles Lellouche confirme, avec L'Amour ouf,...
Par
le 15 oct. 2024
99 j'aime
27
Fourre-tout. Pachydermique. Foutraque. Face aux premières critiques du film, c’est avec une appréhension certaine que je me présentai au Grand Théâtre Lumière pour la projection du nouveau film de...
Par
le 24 mai 2024
75 j'aime
14
(Attention full spoilers!)En entrant dans la salle pour voir « The Substance », un je-ne-sais-quoi un peu étrange planait dans l’atmosphère. Entre appréhension et curiosité, personne n’osait se...
Par
le 9 févr. 2025
1 j'aime
Écrire sur un film des mois après l’avoir visionné est une expérience pour le moins intéressante ; notamment lorsque le long-métrage en question a fait l’objet de critiques relativement acerbes...
Par
le 18 nov. 2024
1 j'aime
Lee Miller est une figure avant-gardiste, libre-penseuse et surtout profondément humaine qui mérite incontestablement une plus grande mise en lumière. Il s'agit tout de même d'une femme mannequin...
Par
le 18 oct. 2024