Je reprends ici le titre donné à ma critique portant sur « Les 8 Salopards » (2016), de Tarantino, puisque, dans ce nouvel opus du réalisateur autrichien, l’acte de donner la mort, réelle ou symbolique, avec succès ou se heurtant à l’échec, semble être le seul qui unisse réellement les différents membres d’une famille : meurtre de la mère par la fille, du grand-père par sa petite-fille, du fils par sa mère, de l’animal domestique par sa propriétaire... Les autres liens restent polis, infiniment froids, et donc décevants. À preuve, le désappointement un peu agacé du grand-père, Georges (Jean-Louis Trintignant, magnifique en son jeu du déclin), devant le refus que lui oppose l’un de ceux qu’il considère comme ses servants de lui istrer la mort...
D’emblée, le filmage dit la distance, et notamment la mise à distance qui est solidaire de la vision, lors de la longue séquence d’exposition, qui ne fait surgir certaines silhouettes, d’ailleurs éminemment condamnées, qu’à travers le rectangle étroitement vertical - presque celui d’une tombe - de l’écran d’un téléphone portable. Se superpose, muet, le commentaire de ces images, commentaire véritablement assassin.
Meurtre, formes de meurtre, donc, ou distance abyssale, les personnages scénarisés par Haneke n’échappent pas à cette alternative, même lorsqu’un rapprochement se tente, aussi maladroitement que timidement, fraîchement, comme entre le fils, Thomas (Mathieu Kassovitz, étrangement raide), du patriarche et sa propre fille, Ève (impressionnante Fantine Harduin, hanekienne en diable). Dans la famille Laurent, on ne s’étonnera pas de voir la sœur de Thomas, Anne (Isabelle Huppert, dans sa quatrième collaboration avec Haneke), jouer un rôle particulièrement castrateur dans l’inscription sociale de son fils Pierre (Franz Rogowski, que l’on aura plaisir à retrouver dans un personnage finalement plus heureux, en tête d’affiche du film de Thomas Stuber, « Une Valse dans les allées », 2018).
Secondé par son directeur de la photographie Christian Berger et par son infaillible sens de l’image et du son, Michael Haneke construit ici un impitoyable portrait de famille, dont la noirceur pourra rebuter, par son systématisme toxique ; ou séduire, par sa vigueur et son jusqu’au-boutisme...
Le titre, dès lors, par son optimisme proclamé, est réversible à l’infini : « Happy End » au sens propre, parce que « le pire » semble effectivement appelé à être évité... Semble seulement... Ou à entendre comme une antiphrase, d’une part parce que cette « heureuse issue » le sera peut-être au regard des convenances, mais sans doute pas dans le ressenti de tous ; et puis par ce que dévoile de désespoir « l’option suprême », comme l’appelait Villiers de l’Isle-Adam, qui a été tentée... Au-delà d’un jeu de massacre avec les familles, voire sur le dos des Occidentaux dans leur globalité, Michael Haneke, prolongeant son précédent film, « Amour » (2012), revient avec insistance sur les problématiques cruciales, et encore non résolues, qui entourent la fin d’une vie.