Après les expérimentations fantasy de Tale of Tales, Matteo Garrone fait un retour plus modeste par une petite porte, rouillée et décatie pour un film noir qui prend d’une nouvelle façon le pouls de l’Italie contemporaine. A dimension familiale et intime, son drame sonde, dans en lieu généralement ignoré, et derrière des façades qui n’incitent pas à l’insistance, la pauvreté, la veulerie et la spirale infernale de la soumission.
Le portait de Marcello et de son rapport aux chiens compose une exposition tout à fait pertinente : c’est dans son travail, et en lien avec des êtres dénués de langage que ce petit homme vulnérable et maladroit, presque simple d’esprit, parvient à trouver des voies d’épanouissement. Le monde animal impose une compréhension du silence, voire une solitude à l’écart du vacarme de la société humaine qui sied parfaitement au protagoniste. La scène d’ouverture, gros plan sur un molosse aux aboiements féroces, sonne ainsi surtout comme une fausse piste : Marcello est doué d’une langue que les autres ignorent, et la tendresse dans son travail est une réponse fragilement solaire à l’univers sordide dans lequel il végète. Ce n’est pas pour rien si l’échange idéal avec sa fille est la plongée sous-marine : c’est, encore, un échange harmonieux avec le monde qui s’affranchit du langage.
L’osmose entre cette figure et la mise en scène est la grande réussite du film : souvent étouffant, sur-cadré dans ces intérieurs exigus (le salon, la boite de nuit, l’appartement cambriolé, jusque dans son congélateur), le regard capte, dans des clairs obscurs, le secret d’un regard et les rares éclats d’une bienveillance. La photo, magnifique, capte avec talent ces contrastes, et les heures interlopes de la solitude, notamment quelques petits matins à deux moments opposés du drame.
Pour l’émergence du drame, la nécessité est bien entendu de faire interagir Marcello avec l’extérieur. Garronne lui met ainsi dans les pattes une autre forme d’animalité, celle d’une brute épaisse qui va faire de lui un souffre-douleur et prouver, si besoin en était, que les animaux semblent les seuls dignes d’une réelle empathie. La convention du film noir est dès lors un peu plus évidente, et les développements du scénario perdent ce que le film avait installé en atmosphère, graphique ou psychologique. La soumission librement consentie est poussé aux extrêmes, et on peut se demander s’il était nécessaire d’aller aussi loin. L’écriture étiole ainsi pas mal de subtilités, surlignant les caractères comme les motifs, notamment dans le huis clos final qui boucle la structure d’une façon un peu trop scolaire.
Reste cet épilogue qui sait redonner sa part au silence, dans un terrible cri de solitude lancé à cette portion de ville en voie de décrépitude avancée. Dans ce décor forain laissé à l’abandon, où rien n’a jamais vraiment tourné rond, la ligne tragique alors est éloquente. Dans cette part belle accordée à l’image, la justesse et la précision d’un regard, Dogman parvient à compenser les pesanteurs d’un récit qui s’est voulu trop explicite.