Et maintenant je vois

Dancer in the Dark ou la Palme au Coeur d'Or : véritable consécration pour la chanteuse islandaise Björk ( logiquement récompensée par un prix d'interprétation féminine au festival de Cannes 2000 pour son personnage de Selma ), le chef d'oeuvre de l'insaisissable Lars Von Trier fait montre d'une charge émotionnelle retentissante tout en s'affirmant comme un mélodrame musical d'une originalité frappante.


Malicieusement hybride et surprenant d'un bout à l'autre Dancer in the Dark est un film prodigieux à plus d'un niveau : portrait de femme filmé au sortir des règles du Dogme95 ( caméra en alerte, cadrages tremblotants, iconoclastie générale...) pour mieux jouer de multiples artifices dramatiques ( moments musicaux et chorégraphiés avec pas moins d'une centaine de caméras synchronisées, moments correspondants aux projections mentales de la vertueuse Selma, rêveuse candide et idéaliste, maîtresse de l'imaginaire musical du film ); fable tragique en forme de réquisitoire contre la peine de mort, mêlant pathos, poésie et cruauté tout en dépeignant avec justesse toute une communauté profondément américaine, tour à tour conservatrice, accueillante et/ou dénuée de pitié ; enfin chef d'oeuvre musical composé et interprété par Björk, qui livre avec ses Selmasongs un objet d'une éclatante beauté.


S'ouvrant sur un pré-générique haut en couleurs, proche de l'abstraction visuelle, qui n'est pas sans rappeler celui du classique West Side Story sorti 40 années plus tôt Dancer in the Dark nous plonge d'emblée dans une réalité sociale traitée avec un misérabilisme totalement assumé par Von Trier, le cinéaste jouant irablement sur les différents aspects du quotidien de Selma et de son entourage ( travail, responsabilités familiales, activités artistiques, convoitises et autres pécules ) tout en ménageant nos attentes premières... Il faudra donc attendre un bon moment avant d'entendre et de voir le premier morceau de film intégralement chanté et chorégraphié, aux sons concrets et endiablés des machines d'une usine en pleine effervescence. Ultra-sophistiquée tout en se payant le luxe d'un lyrisme tout sauf conventionnel la forme dudit mélodrame est constamment inventive, dérangeante voire déstabilisante : des images et des sons qui suintent le cinéma de part en part, une réelle définition du Septième Art.


Bien que le film ne soit pas toujours en mesure de contrôler ses outrances, jouant parfois sur certains poncifs un peu faciles ( la pauvre jeune femme immigrée atteinte de cécité, acculée au meurtre malgré elle par un représentant de l'ordre et du bon sens commun américain ) il dégage une telle poésie, une telle évidence et une telle tristesse qu'il figure indéniablement parmi les meilleurs de son auteur. Le racolage dans tout ce qu'il peut avoir de miraculeux et de bouleversant : incontournable !

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le 28 juin 2015

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stebbins

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