Spécialiste de la série B musclée et efficace, Ryoo Seung-Wan continue de gravir les échelons dans le cinéma coréen et, après le carton de The Veteran il y a deux ans (mais toujours inédit chez nous), accède pour la première fois de sa carrière à son premier vrai gros budget. Le résultat est Battleship Island qui évoque l'île japonaise de Hashima, sorte d'Alcatraz de l'exploitation du charbon dans laquelle de nombreux coréens (entre autres) furent enrôlés plus ou moins de force pour y travailler dans des conditions exécrables et inhumaines jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale.
Avec un tel sujet, on aurait pu croire que Ryoo se serait fait avaler par le système des gros studios, des formules commerciales, par la reconstitution historique (une première pour lui) et les nombreux trucages que cela nécessite... Et bien pas du tout ! Le film demeure encore un impressionnant tour de force technique à la réalisation remarquable de maîtrise et d'ampleur pour un mélange entre [b]Germinal[/b] et le film de guerre. Alors certes, on est dans une œuvre de propagande qui s'accapare d'un fait véridique (plusieurs centaines de morts coréens sur cette île) pour mieux faire vibrer la fibre coréenne à coup de révisionnisme explosif. Pas la moindre évocation des prisonniers chinois par exemple (il est juste rapidement évoqué différents secteurs dont celui coréen) et il semble que l'île ne connut aucune révolte du niveau montré dans le film... Peu importe au final tant Ryo Seung-wan transcende son matériel. Et si le film montre des japonais unanimement sadiques et cruels, il montre aussi de nombreux coréens qui collaborent sans scrupules ou qui profitent de la situation pour s’enrichir grâce à corruption et la manipulation des masses (thème déjà évoqué à plusieurs reprises dans la carrière du cinéaste).
Mieux vaut prendre Battleship Island pour ce qu'il est au final : un divertissement épique à la réalisation monumental traversés de morceaux de bravoures déments et qui a l'intelligence de respecter la progression vers la fureur.
Le début est ainsi assez conventionnel et plutôt sage avec sa reconstitution de l'occupation japonaise à travers un groupe de jazz qui se retrouve embarqué malgré eux vers Hashima, véritable enfer sur terre alors que nous sommes en été 1945.
La reconstitution est impressionnante mais Ryoo ne s'attarde jamais dessus, préférant une réalisation dynamique et alerte avec des plans assez longs sans tomber là non plus dans la démonstration virtuose. La narration est ainsi rondement menée et ne perd pas trop de temps à présenter la dizaine de protagonistes principaux, dont seul un résistant infiltré est maladroitement introduit par un flash-back. Ces personnages n'en demeurent pas moins attachant par quelques courtes scènes tout en reposant juste ce qu'il faut de clichés pour qu'on se les approprie immédiatement (le gangster grande gueule mais compréhensif, l'ancienne prostituée, le leader du groupe de jazz et sa petite fille, le chef coréen, le résistant ou un intellectuel à lunettes pour le coup pas assez présent).
Par contre, le cinéaste dispose avec parcimonie de séquences mouvementées qui gagnent en ampleur à chaque reprise : l'ouverture en noir et blanc, le brutal combat dans les bains, le déraillement du chariot fou ou les explosions au gaz.
La dernière heure est pour ainsi dire un morceau de bravoure ininterrompu qui commence par une séquence époustouflante de bombardement aérien avant de finir par une bataille rageuse lors de la tentative d'évasion en ant par une séquence narrative indispensable, magnifiée par l'utilisation de bougies qui confère au moment un vrai souffle lyrique.
Autant le dire simplement et directement : cette dernière heure défonce tout. Point barre.
Ryoo Seung-wan ressuscite les grandes fresques épiques guerrières comme j'en ai pas vu depuis un moment avec une réalisation dantesque qui repose sur des plans relativement longs, fluides et dynamiques et surtout stables. A la fois lisible et chaotique tout en étant remarquable par son incroyable logistique et sens de l'espace. Qu'il s'agisse des tétanisantes bombes larguées (rarement on aura senti à ce point la force des explosions et des flammes) ou de la force du désespoir des combattants coréens, rien ne semble effrayer Ryoo Seung-wan dont la maitrise est totale. Il se permet même d'utiliser la dernière ré-orchestration de Extasy of Gold du Bon, la brute et le truand pour cristalliser la tension avant la charge japonaise. Ca aurait pu être grossier, cynique, opportuniste ou tout bonnement d'une facilité fainéante et au contraire, il l'utilise avec maestria et colle des frissons qui ne partiront plus pendant les 10 minutes à venir.