On ne connaît pas son prénom. On sait juste qu’elle est mariée et qu’elle a deux enfants. Son quotidien de femme au foyer se résume le plus souvent à s’occuper du ménage et de sa progéniture, tout en étant au service de son mari dès que celui-ci franchit le seuil de la porte. On la suit pas à pas dans ses colères, sa fatigue, sa charge mentale, ses petits moments de bonheur aussi, parce que le tableau plutôt sombre de sa vie s’éclaire parfois de touches de lumière. Trente-six chapitres en tout, autant de petits rien semés sur le chemin d’une existence dédiée au service des autres avant de penser à soi-même.
Murasaki Yamada, décédée à 60 ans en 2009, est une icône du manga alternatif, adulée notamment par Hayao Miyazaki. Ce recueil regroupe des histoires courtes publiées entre 1981 et 1984, histoires qui oscillent entre deux formes de relations, celle que l’héroïne entretient avec ses enfants et celle qu’elle entretient avec son mari. Mais au final, le sujet central du manga reste la relation fondamentale qu’elle entretient avec elle-même et la façon dont elle juge sa vie de femme au foyer, à la fois éprise de liberté et incapable de s’imaginer très longtemps loin des siens. Une sorte d’autofiction avant l’heure puisque Murumada était elle aussi maman de deux jeunes enfants au début des années 80 et qu’elle vivait dans un appartement identique à celui de son héroïne. Graphiquement le trait est minimaliste, parfois proche de l’illustration de mode. Une forme d’épure et d’abstraction se dégage de sa mise en scène, où les décors restent très peu présents. Un choix esthétique à la fois déstabilisant et plein de charme.
Plus de quarante ans après sa publication, Shinkirari reste une œuvre inclassable, dénonçant tout en délicatesse le patriarcat et dressant avec subtilité, poésie et mélancolie, le portrait touchant d’une femme japonaise sur le chemin de l’émancipation.