Le Tengû carré
7.2
Le Tengû carré

BD franco-belge de David B. (1997)

Contes²

David B est un triste fabuliste, un onirologue maladif, un clown désabusé qui raconte devant un feu glacé ses propres contes noirs, ressassant sans cesse les mêmes thèmes : armes blanches biscornues, armures bigarrées, démons et monstres enlacés, ombres et objets vivants avec son trait si particulier au hiératisme aplati et douloureux, sorte de Marjane Satrapi horrifique aux noirs trempés dans de l'atrabile. Chaque trait, épais et gras, semble être le rebord d'un abysse donnant sur un puits sans fond, une frontière sur un tout autre monde onirique, celui des monstres sous le lit, des fantômes enchaînés et des ogres colorés et qui avait déjà nourri l'imaginaire des vieux conteurs antiques.

David B est friand d'Histoire, de mythes et de légendes, il l'a dit dans l'Ascension du Haut Mal et n'a cessé de le prouver dans ses BD ultérieures. Il n'est donc pas étonnant qu'il investisse le monde fertile du Japon, son univers de samouraïs aux armures pimpantes et de mille démons. Mais attention, ici nulles batailles de Sekigahara ou de Musashi Miyamoto ! Déjà, dans sa Lecture des Ruines, il relatait la guerre des tranchées, collusion tragique entre la fin du XIXe siècle grinçant et le début de l'âge moderne. Ici la dynamique est semblable à l'ère Meiji : les samouraïs ont perdu le droit de porter le sabre, la police possède des fusils, les étrangers déferlent sur le pays enfin ouvert et le train à vapeur sillonne les montagnes. L'effritement lente et inexorable du Japon romantique des mangas et des films en costumes et où le merveilleux n'est plus présent que par bribes...

L'auteur conserve son style très froid même s'il reste dans cet album parcimonieux en grandes fresques symbolistes et surréalistes. Il mêle à son inspiration japonisante une ambiance et des motifs tout personnels, plutôt hermétiques, partant dans tous les sens comme les épées que brandissent ses personnages et qui peuvent aisément laisser le lecteur non-averti sur le pas de la porte de ses ténèbres. Il semble en effet manquer un petit quelque chose pour que la magie prenne véritablement vie.
7
Écrit par

Créée

le 7 janv. 2012

Critique lue 440 fois

9 j'aime

8 commentaires

Nushku

Écrit par

Critique lue 440 fois

9
8

D'autres avis sur Le Tengû carré

Quand les légendes deviennent des bandits

Le Tengû carré fut pour moi l'occasion de découvrir David B. et son univers. Mêlant un florilège de mythes et légendes dans un univers où la violence et omniprésente. Les protagonistes principaux,...

Par

le 21 févr. 2019

1 j'aime

Critique de Le Tengû carré par RC88

Depuis peu je suis rentré dans l'univers froid et mythologique fait de monstres et légendes violentes de David B. Le gaillard nous emmène dans ses histoires avec une facilité d'aplomb. On y entre et...

Par

le 8 janv. 2021

Du même critique

Six pieds sous terre
10

You can't take a picture of this. It's already gone.

Avec les Sopranos et The Wire, Six Feet Under appartient à cette triade dorée de la chaîne câblée HBO qui a irrémédiablement métamorphosé le paysage audiovisuel. Les Sopranos ont démontré que dans la...

Par

le 27 juil. 2011

294 j'aime

22

Thriller aigre-doux

Memories of Murder n'est pas monolithique. Il est certes en premier lieu un polar captivant au rythme parfaitement construit sur la traque d'un serial-killer mais il est aussi fait d'antagonismes...

Par

le 4 mars 2011

227 j'aime

6

Inspacetion

Tout en n'étant absolument pas un irateur de Nolan, bien au contraire, j'attendais avec certaine fébrilité cet Interstellar. Attente teintée d'espoir et de craintes. Ha.... l'espoir frileux et...

Par

le 5 nov. 2014

217 j'aime

36