Fire Punch
7.3
Fire Punch

Manga de Tatsuki Fujimoto (2016)

Croix de Feu

Oeuvre immense de l'immense Tatsuki Fujimoto. Comment, dans un monde désolé, des êtres humains peuvent devenir des Dieux et comment ces mondes désolés, même, pour échapper au désespoir construisent des mythes et élèvent des Dieux, vivants ou non. A quelle vitesse, aussi, naissent les nouvelles croyances et à quelle condition elles se maintiennent, entourées de quelles rites, garanties par quel clergé ? Quelle force permet de les maintenir, de les affermir, et quelle force peut les détruire, les submerger et leur en substituer d'autres ?


La Terre traverse une période glaciaire et, les êtres humains, pour survivre, l'attribue à "la sorcière de glace" antropomorphisant un phénomène naturel, trouvant une cause humaine et, si issue d'une volonté particulière, d'un être identifiable, formant une catastrophe réversible.
Certains humains disposent de super-pouvoirs (capacité de régénération, de produire des flammes, de l'électricité) qu'ils nomment des "bénédictions". Tous les éléments de ce monde sont rapatriés dans les catégories de la foi, de la croyance, de la spiritualité.


Mythes et Dieux nés, de l'effondrement de la culture, de la disparition de toute tradition intellectuelle, de tout héritage humaniste. La technologie moderne existe (des exosquelettes, des véhicules motorisés) mais hors de toute science, de toute "civilisation". Certains groupes humains militarisés, exploitent, par la force, d'autres êtres humains, créent des hiérarchies humaines, produisent cd "l'autre" et se permettent, alors, d'utiliser jusqu'à la mort ces autres qu'ils appellent du "fuel". Les rendant consommables, fossiles, à brûler. Si ce "fuel" dispose de pouvoirs, voilà exploités les titulaires jusqu'à l'épuisement total, servant de générateur d'électricité celui qui produit des étincelles, exploitée sexuellement celle qui ne dispose pas de pouvoirs.
Pour légitimer à leurs propres yeux et auprès de ses citoyen·nes cet état de fait, les cheff·es de ce groupe prétendent tenir leur pouvoir d'une autorité supérieure et transcendante (le murmure d'un roi invisible, audible seulement de quelques élu·es). Leur supériorité militaire, leur capacité à exploiter d'autres êtres humains, finalement est la preuve (tautologique), puisqu'elle bénéficie au groupe dans son entier, indiscutable. L'intérêt comme critère ultime de vérité. La preuve de l'élection de ce peuple c'est son triomphe.


Le Dieu vivant, héros du récit, qui lui ne se vit Dieu que contraint, Dieu naïf, ne se souhaitant pas idolâtré mais souhaitant se venger, se voit pris au piège de sa divinité imposée. Dieu reconnu comme Dieu parce que torche humaine, servant à la fois, dans ce monde embrouillé, de torche ou de phare et dans le blizzard glacé servant de feu chaud et menaçant. Dieu visible mais intouchable, son réduit en cendres qui viole ce commandement.


Récit mythologique d'un Dieu qui ne se veut pas un Dieu et d'Agni, l'humain qu'on nomme Dieu, assoiffé de vengeance envers qui a assassiné sa soeur et l'a torturé, lui, enfant. Agni, dont la quête personnelle, finit par se confondre avec celle du Dieu qu'il doit être. Trouvant, à son existence, un autre but que celui qui le faisait brûler intérieurement. Ce feu extérieur, désormais, déporté, salvateur ou vengeur, dirigé vers et pour les autres.


Son apparence, donc, son attribut de flammes, l'oppose à cette autre figure, la cause du Mal, la sorcière de glace, il en est l'ennemi naturel, le Bien parce que son opposé est le Mal, et donc le sauveur des croyant·es. Sa légende l'accompagne, avant de le voir, même on a entendu parler de ses hauts faits, l'enfant rapporte au père comment le Dieu-feu l'a sauvé de l'avalanche, on le cherche avant même qu'il ne se sache Dieu. Dieu, parce que, avant toute chose, nécessité d'un Dieu, Dieu comme position structurelle de cette société, nécessité d'un Dieu et donc Dieu nécessaire.
Sans quoi le néant, la nuit irrésistiblement glacée, donc la mort, sans rémission. C'est à dire l'inhumain, le non-humain.


Dieu, sacrificiel et christique, offrant sa chair à celles et ceux qui croient, ses membres se régénèrent mais ses membres brûlent d'un feu qui ne s'éteint pas, alors il sacrifie son visage, seule partie indemne des flammes, il sacrifie interminablement son visage. Son alliée, qui ne croit pas et fait croire, tranche à la hache ce visage, et ceci est son oeil et ceci est sa bouche, et ils s'en repaissent et elles s'en délectent. Et ils s'abreuvent à sa douleur, chaque coup douloureux comme un clou enfoncé en une chair vivante.


Dieu naïf près duquel naît le prosélyte naïf, évangile de circonstance, âge de huit ans, parce que Dieu ne saurait se dispenser de sa légende et parce que les croyant·es veulent leur Dieu verbe et vivant.
Eglise érigée par les discours de cet enfant, chargé, malgré lui, de ce récit comme le Dieu naïf, malgré lui, chargé de sa divinité. Evangile circonstanciel qui deviendra, pourtant, le dogme rigide à quoi les générations successives se référeront, Evangile inventé pour faire tenir socialement le groupe fragile, uni uniquement par la croyance en formation. Evangile, commuant en sens les actes de Dieu et ritualisant ces actes. Ainsi naît une tradition.


Pourtant certains et certaines savent ce que c'est, vraiment, ce monde. Ils se taisent.

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Créée

le 13 avr. 2022

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herminien B

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