Dans ce roman graphique aussi ambitieux que troublant, Ezra Claytan Daniels nous plonge dans une exploration fascinante des frontières de l'identité humaine. À travers l'histoire d'un couple septuagénaire confronté à leurs doubles génétiquement "améliorés", l'auteur tisse une réflexion profonde sur notre rapport au corps, au vieillissement et à la conscience.
L'originalité d'Âme Augmentée réside moins dans ses thématiques - le clonage et le transhumanisme sont des sujets largement explorés en science-fiction - que dans le traitement singulier qu'en propose Daniels. Son trait atypique, servi par une palette chromatique minutieusement élaborée, crée une atmosphère unique où le familier côtoie l'étrange, où le réconfort se mêle au malaise. Cette dualité graphique fait écho aux questionnements existentiels qui traversent l'œuvre : qu'est-ce qui définit notre identité ? Notre conscience peut-elle survivre au transfert vers un nouveau corps ?
Le couple Nonnar, uni par un amour profond qui transcende les décennies, incarne cette quête désespérée de transcendance. Leur désir de jeunesse retrouvée, compréhensible mais tragiquement vaniteux, les conduit à une expérience qui bouleversera leur conception même de l'existence. La présence de leurs doubles "augmentés" mais défigurés soulève des questions vertigineuses sur la nature de la conscience et le rapport entre corps et esprit.
L'auteur développe une approche résolument moniste et épicurienne, suggérant que l'âme ne peut émerger que de la matière brute. Cette position philosophique est enrichie d'une réflexion fascinante sur les ondes cérébrales et leur rôle dans la formation de la conscience. Mais au-delà de ces considérations métaphysiques, Âme Augmentée se lit comme une mise en garde contre les sirènes du transhumanisme et l'hubris scientifique qui prétend pouvoir déer les limites de la condition humaine.
La force de l'œuvre réside dans sa capacité à rendre ces questionnements philosophiques profondément humains et personnels. Les personnages, complexes et torturés, nous confrontent à nos propres anxiétés face au vieillissement et à la mort. Leur quête d'immortalité résonne avec une sagesse millénaire : ne ferions-nous pas mieux d'accepter notre finitude plutôt que de poursuivre le mirage de l'éternelle jeunesse ?
Cette œuvre, longuement mûrie et élaborée par Daniels, nous rappelle que la vraie sagesse réside peut-être moins dans la quête effrénée du progrès technologique que dans l'acceptation sereine de notre nature mortelle et à la philosophie du fameux "carpe diem" cher aux épicuriens. Une leçon d'humilité particulièrement précieuse à l'heure où les promesses du transhumanisme n'ont jamais semblé si proches et si trompeusement séduisantes.