Dans un de mes trop nombreux défis un peu stupides (hey!) j’ai voulu voir si le jeu vidéo était soluble dans la bande dessinée. Comment est-ce que le média vidéoludique et interactif pouvait être transposé dans une proposition de lecture, dont l’interaction consiste principalement à tourner des pages ?
On ne peut pas dire que cela a été concluant, comme le montre cette liste. Les adaptations transposent avec difficulté des codes et des bouts de scénario de la série originale. Les bédés humoristiques vont de la reprise des clichés les plus barbants à un certain humour de l’entre-soi, vaguement geek, le plus souvent forcé.
Quelques exceptions existent. Elles offrent des erelles convaincantes entre ces deux univers et où la conclusion la plus satisfaisante est respectée : offrir un bon moment de lecture.
A ces petits succès s’ajoute donc Super Basse Def, sorti en 2019, elle-même suite de Basse Def mais qui peut se lire indépendamment grâce à la présence de deux nouveaux personnages principaux.
La principale particularité est son parti pris, justifié par son scénario. A la manière des isekai qui pullulent dans les mangas et animés, où un personnage est transporté dans un monde imaginaire, les vaillants héros des Basse Def sont crapahutés dans un univers pixelisé, comme s’ils étaient dans des jeux vidéo.
Jibé a donc du créer tout un environnement de pixels, avec différents personnages et leurs postures utilisées pour les besoins du scénario ainsi que les décors où ils sont amenés à évoluer. Un travail impressionnant qui peut être réutilisé de cases en cases, ad vitam eternae si l’auteur ne se forçait pas à toujours renouveler les situations et les défis. Pour ce tome à l’esthétique très Super Nintendo, on retrouve bien la gamme de couleurs très 16 bits et la résolution employée, avec d’évidentes inspirations chez les jeux d’action de Capcom ou les jeux de rôle de Squaresoft, avec quelques écarts. Un travail de fourmi pour créer un tel petit monde, rempli de détails minutieux, soit 4 années dessus, à côté d’autres travaux.
Le procédé n’est pas utilisé pour combler ou esquiver des lacunes en dessin, puisque l’auteur est aussi dessinateur et illustrateur, entre autres casquettes, et que son trait rond et souple amorce et conclue l’ouvrage, pour illustrer le monde hors des pixels.
Cette représentation en pixels so 90’s, comme dans les classiques en 2D, avec l’action sur un premier plan, de gauche à droite, fonctionne d’autant mieux qu’elle s’allie avec le sens de lecture occidental, dans la même direction. Si l’ensemble reste assez statique de case en case, comme autant d’instantanés d’une partie de jeux vidéo old school, il y a malgré tout une certaine recherche pour varier un peu la mise en scène, avec des plans plus large ou plus rapprochés, sans que cela ne trahisse ni l’hommage ni cette incarnation en bande dessinée. D’autant plus que certains écarts vidéoludiques dans d’autres genres du jeu vidéo permettent de tester de nouveaux points de vue, sans jamais s’aventurer trop loin dans la rupture de ton.
La principale difficulté vient tout de même que l’oeuvre semble à l’étroit dans ses pages, malgré un grand format et un papier adéquat. Composée généralement de deux segments de 6 cases chacune, l’ensemble semble un peu trop écrasé, notamment à cause de la densité de pixels et de couleurs utilisés. D’un premier regard, la lecture apparaît un peu trop chargée, tandis que ces beaux pixels auraient mérité un peu plus d’espace.
Difficile de ne pas aborder Super Basse Def sans son parti-pris graphique et technique, assurément réussi, mais qui aurait pu être vain s’il n’avait pas offert une lecture entraînante. Le scénario reste un prétexte, à base de personnages à retrouver et même de clones maléfiques, guère plus évolué que dans ces jeux vidéo de la première moitié des années 1990. Mais il est malgré tout suffisamment et régulièrement injecté de nouvelles situations loufoques et vaguement sérieuses pour conserver un peu d’intérêt.
A la recherche de Ludo et Simon, Lisa, la petite sœur du premier et Mike, le vendeur de la boutique de jeux vidéo du coin, se retrouvent coincés dans un nouveau monde dont ils vont découvrir les codes. Si Mike est un aguerri de la culture vidéoludique, Lisa est complètement étrangère, tandis que Ludo et Simon qui redront le duo plus tard sont des geeks à la personnalité moins affirmée mais qui auront le sens du tacle et de la plaisanterie.
L’ensemble est léger, frais, accessible à un public assez large, dans les péripéties rencontrées ou dans le ton des dialogues. Tout le monde peut prendre l’album en main, mais il est évident que les vieux de la vieille qui auront connu cette période seront avantagés. Ne serait-ce que pour mieux apprécier la moquerie des codes et clichés exploités à cette époque, comme les restrictions imposées pour guider la progression du joueur, l’interface des combats dans les RPG japonais ou de celle des jeux d’aventure de l’époque. De bonnes idées exploitent de manière humoristique ces clichés, à l’image des combats aléatoires comparés à du harcèlement de rue ou ce que deviennent les sprites défaits dans les jeux.
Certes, il s’agit d’un humour de geeks, et pas des plus frais, du genre old school. Qui s’amont encore plus des petits bonus de fin de volume à l’image de ces pages façon Player One (ancien titre de la presse spécialisée) qui servent de making of ou des jeux cultes de l’époque dont la jaquette est revisitée par les personnages de Basse Def. Les intérieurs de couverture sont un bon exemple de cette alliance réussie entre le monde de la bande dessinée (ou du livre en plus général) et du jeu vidéo : la première page intérieure de couv’ indique « now loading » (comme un écran de chargement, en attente de lecture) et la dernière si le joueur veut rejouer ou pas (et donc relire ou non), et je laisse découvrir la deuxième et troisième. L’ensemble fourmille de bonnes idées, d’astuces qui vont bien au-delà d’une œuvre cantonnée à tel type de public.
Un défi technique et graphique mais sans aucune vanité, bien au contraire, au ton léger et décontracté et avec quelques idées humoristiques bien trouvées. Si les premières aventures ont été éditées dans Basse Def et Basse Def Deluxe il semble que de nouveaux strips sont maintenant prépubliés dans la revue Retrolazer d’Omaké Books chez qui Jibé est un collaborateur régulier.