Après trois ans d’absence, Vald revient avec Pandemonium, un cinquième album qui porte bien son nom : une plongée dans un enfer personnel, un chaos introspectif où se mêlent punchlines acérées, sarcasme grinçant et éclats de poésie brute. En tant qu’amateur de rap et ionné de poésie, j’ai trouvé cet opus intéressant, un compagnon d’écoute qui séduit par sa densité et son audace. Vald, fidèle à son univers, livre un projet qui oscille entre férocité et fragilité, comme un poème long de 17 titres, taillé dans le vif de ses démons.
Dès l’ouverture avec « Dieu merci », Vald surprend par une note d’optimisme, une gratitude presque spirituelle qui contraste avec la noirceur annoncée par le titre, référence à la capitale infernale de Milton. Ce morceau, lumineux et introspectif, pose les bases d’un album qui ne craint pas de jongler entre les registres. On y retrouve la plume de Vald, cette capacité à transformer le trivial en réflexion, à la manière d’un poète qui glisse du prosaïque au métaphysique. Des tracks comme « Paradis Perdu », où il rend hommage à sa mère disparue en intégrant ses « punchlines » du quotidien, ou « Les Échappés », qui aborde le deuil avec une justesse déchirante, m’ont particulièrement touché. Ces moments, d’une sincérité désarmante, rappellent que le rap, comme la poésie, puise sa force dans la vérité nue.
Côté musical, Pandemonium est un terrain d’expérimentation. Vald, entouré de producteurs comme BBP ou Benjay, explore des sonorités variées : trap sombre, bouyon antillais, touches de jersey. Si certaines productions peuvent sembler trop sages pour pleinement incarner le chaos promis, elles servent d’écrin à un flow toujours aussi incisif. Des titres comme « Fumée » ou « Prozaczopixan » captent l’oreille par leur énergie, même si l’ensemble, parfois dense, peut perdre en cohérence sur la longueur. Mais n’est-ce pas là le propre du pandémonium ? Un désordre assumé, où chaque morceau est une facette d’un esprit en ébullition.
Ce qui frappe, c’est l’écriture. Vald revendique une approche presque littéraire, écrivant « des poèmes dans le vide » avant de les adapter aux prods. Pour un amoureux de la poésie, cet aveu résonne : on sent dans ses textes une recherche de rythme, d’images, d’assonances. Des lignes comme « Je pense tellement qu’je pense que je suis v’là le penseur » (Gauche Droite) ou ses références à la matière noire (Roche Noire) traduisent une pensée qui s’égare, observe, dissèque. Ce n’est pas Baudelaire, mais il y a du Rimbaud dans cette rébellion lucide, ce regard qui scrute le chaos du monde et de soi. Pourtant, certains textes, à force de vouloir tout dire, frôlent la surcharge, comme un poème qui oublie de respirer.
En tant qu’amateur de rap, j’apprécie la liberté de Vald, son refus des formats TikTok et des feats calibrés (hormis un couplet mystère qui alimente les spéculations). Pandemonium n’est pas un album de tubes, mais un projet d’auteur, un journal intime griffonné à l’encre noire. Il ne révolutionne pas le rap français, mais il rappelle pourquoi Vald reste un cas à part : un artiste qui, comme un poète maudit, transforme ses failles en art. Bon à écouter, oui, mais surtout à décortiquer, comme on relit un recueil pour en saisir les nuances. Un chaos qui, à sa manière, fait sens.